Je suis installée depuis 11 ans à Aurons (13) avec 55 chèvres communes provençales en transformation fromagère. De mars à octobre mes chèvres pâturent sur des prés non irrigués, complétés au foin de Crau, et pendant l’hiver je garde en colline. La lactation s’étale sur 9 mois, de mars à novembre. Je fais des fromages et des yaourts que je commercialise à 80% en vente directe et AMAP et aussi auprès d’un fromager affineur (Maison Mons à Saint Haon Le Châtel).

Le devenir des chevreaux en système laitier est le point noir. A la naissance nous les vendons à un engraisseur qui fait la collecte dans tout le quart Sud-Est pour les engraisser avant de les expédier au Portugal ou en Italie. 
La crise sanitaire a été un électrochoc pour moi, j’ai pris conscience de la fragilité de cette filière qui dépend des marchés étrangers. 

Depuis je garde tous mes chevreaux, retardant le démarrage de la fromagerie, et je les élève sous la mère. C'est un choix éthique que de les élever sous la mère car on pourrait très bien les élever au lait en poudre. Laisser les cabris avec les mères jusqu'au sevrage (environ 2 mois) c'est une façon de remercier les chèvres qui nous donnent du lait. Aussi, au moment des naissances, tout le monde est heureux, l'ambiance en bergerie est joyeuse et apaisée, contrairement à l’époque où il fallait séparer mères et cabris dès la naissance. Fabriquer du fromage dans ces conditions prend vraiment tout son sens : on a besoin des chevreaux pour lancer un cycle de lactation, le chevreau est ensuite valorisé en viande appréciée des gourmets; il n'est pas considéré comme un "sous produit" !

Abattus à l’abattoir de Tarascon, les cabris sont ensuite transformés par un boucher-charcutier du Pays d’Arles qui fait la découpe et la mise sous vide. Je vends les colis en vente directe, par bouche à oreille. La première année, les 65 chevreaux sont très bien partis, par contre cette année, les commandes tardent un peu. Il y a un gros travail de communication à faire pour valoriser cette viande délicieuse que nous avons perdu l’habitude de cuisiner.

L’abattoir mobile que nous sommes en train de monter va, certes, me permettre d’économiser du temps de transport, mais ce n’est pas le principal argument pour moi. Les abattoirs existants ne sont pas habitués à recevoir des petits gabarits de 12 kg et n’accueillent pas toujours favorablement les chevreaux. On a parfois l’impression de devoir se justifier.

Je souhaite pouvoir participer à l’abattage qui est un moment intime entre moi et mes bêtes. Je souhaite aussi pouvoir partager ce moment avec mes collègues éleveurs éleveuses qui vivent la même chose que moi. On parle le même langage, on sait ce qui existe entre nos animaux et nous. On est plus détendus, c’est mieux comme ça.